Génération Maïdan
Lorsque éclate la crise ukrainienne de l’hiver 2013- 2014, Ioulia Shukan est sur le terrain. D’abord à Kiev, sur le Maïdan, ensuite dans l’est de l’Ukraine touché par l’insurrection séparatiste pro-russe, elle multiplie, en chercheuse, les enquêtes. Les nuits d’hiver passées auprès des protestataires ordinaires sur le Maïdan, la solidarité avec les personnes rencontrées alors et retrouvées par la suite, la confrontation directe à la violence et à la guerre, les moments de partage avec les bénévoles solidaires des lignes de front ou avec les civils fuyant les zones de combat lui ont donné envie d’écrire une autre histoire humaine et subjective, du basculement violent de la société ukrainienne de la révolution à la guerre du Donbass.
Son livre Génération Maïdan : vivre la crise ukrainienne en fait le récit à travers une série de croquis. Il restitue ainsi les histoires de protestataires ordinaires, hommes et femmes de milieux sociaux et d’origines divers, qui se voient emportés dans le tourbillon révolutionnaire du Maïdan, ses idéaux et ses revendications, ses barricades et ses tentes, son ambiance de fête et son odeur de feu de bois, mais qui traversent aussi ses séquences les plus violentes et meurtrières pour en sortir transformés jusque dans leurs appartenances et leurs capacités d’action citoyenne. Il raconte aussi l’histoire d’une famille ukrainienne divisée par le Maïdan, puis déchirée par la guerre, avec deux frères qui se retrouvent de part et d’autre de la ligne de séparation entre l’Ukraine et la Russie. Il fait également partager les histoires d’individus que l’on désigne souvent par le label désincarné de « personnes déplacées internes », des citoyens lambda menant une vie paisible qui se retrouvent soudainement sur la route pour fuir une guerre qu’ils ne comprennent pas et qu’ils n’avaient pas vu venir. Il fait parler les bénévoles qui prennent en charge l’accueil de ces populations déplacées à défaut d’un soutien de l’État, mais aussi ceux qui abandonnent leur vie ordinaire pour se consacrer à aider les soldats engagés sur le front du Donbass. Il raconte également le parcours de personnalités de la société civile, figures symboliques de la révolution du Maïdan, entrés en politique pour réformer l’Ukraine postrévolutionnaire.
Ce bouleversement de la société ukrainienne est raconté au plus près des personnes, d’une manière sensible, bien loin des raisonnements géopolitiques dominants. En cela, Génération Maïdan a une portée qui va au-delà du cas ukrainien : il donne à sentir l’effet d’un grand événement historique sur des êtres ordinaires qui pourraient être nos voisins, nos cousins ou nous-mêmes.
Ce texte a été réédité en 2022 avec une préface inédite de l'autrice.